Personne mieux qu'Édouard Glissant n'a su évoquer l'univers poétique
d'Henri Corbin, y jeter un instant de lumière vraie. Ce fragment de la
préface de Plongée au gré des deuils pourrait introduire La Terre où
j'ai mal plus entièrement consacrée à l'espace du quotidien et du
passé antillais. Il faut plonger aux méandres de la mémoire pour mieux
profiter de la poésie d'Henri Corbin. La lecture introduit d'abord à
un monde d'images : la ferveur la plus immédiate y confronte un
instinct savant du rythme. On sent que ce monde est tissé de clartés
neuves, nourri de contacts avec tout ce qui autour de nous prépare aux
illuminations, aux plongées, à l'effervescence de la mer et des
sables. Mais on voit aussi que ces touchers délicats sont soutenus non
par la connaissance besogneuse qui régit les hommes de lettres mais
par une logique des profonds, la même qui organise l'univers des
choses, le mouvement et la force, la grâce des arbres touchés par la
lumière. Henri Corbin nous parle de ce qui l'entoure et le convainc,
sans répit, dans son pays. Il n'y a là qu'un seul chemin. De même que
c'est en notre mémoire que le poème se commue, de même est-ce en la
mémoire (en l'histoire) du pays antillais, inscrite dans les roches et
la terre offensée, que la beauté perçue par un seul irradie à la fin
en connaissance partagée.