Livrel (ePUB, HTML, Tatouage) 493p.
(Essai)
ISBN: 978-2-37918-186-3
Le présent qu'instaure la quête de la pureté ethnique est celui de la
mort sans limite. Celui qu'on a transformé en une incarnation de
l'ethnie n'est plus une personne qui souffre, meurt, désire, pleure et
rit, il n'est plus personne. On peut l'éliminer comme on arrache de la
mauvaise herbe ou comme on tue des poux. Dans un procès sans fin : la
« pureté » ethnique ou idéologique est un « mauvais infini » comme
dirait Hegel. Et comme on disait plaisamment et profondément durant la
Terreur de la Révolution Française : « un pur trouve toujours un plus
pur qui l'épure ». Le stalinisme a confirmé ce qui pouvait passer pour
une boutade, un mot d'esprit. Et nous rions sous cape quand nous sont
dévoilées les origines impures et mélangées des chevaliers de
l'intégrisme ethnique de notre microcosme. L'antidote n'est donc pas
le « retour » à nos « pures traditions », encore moins à la légendaire
« convivialité africaine ». Celle-ci est une fabrication, qui a pu
être salutaire quand elle exprimait le vouloir-vivre de ceux qu'on
avait écartés de l'histoire et qui puisaient de la force dans le fait
de rire ensemble, de se moquer de soi-même et de l'autre, de se
libérer dans l'imaginaire par la transe, l'ébriété,
« l'hallucinogène » et la « promiscuité ». La convivialité dans la
communion à la ferveur footballistique, dans la beuverie, le délire de
la danse est le refuge de ceux qui ont renoncé à l'action, qui se sont
retirés de l'espace politique, se sont résignés à leur sort, cherchant
des solutions dans des paradis artificiels. La convivialité n'est pas
une vertu politique de ceux qui se reconnaissent comme hommes, par la
médiation d'institutions, d'ensembles de lois douées des qualités
formelles de la généralité, de la publicité, de l'universalité,
c'est-à-dire ne connaissent que des rôles avec leurs charges et leurs
avantages. L'espace politique sépare, nous empêche de nous agglutiner
et de nous abîmer dans l'indistinction et médiatise nos « rapports »
et nos « contacts » au moyen de règles. La convivialité a son domaine
propre au niveau de la reconnaissance des individus par d'autres
individus. Elle est une vertu domestique, de la table familiale; elle
circule aussi dans l'amitié entre pairs, entre égaux, en de libres
associations pour la communion dans le beau, le vrai et le bien. La
convivialité présuppose l'espace politique qui permet à chacun de
donner un nom et un visage à sa quête du bonheur et du bien, de
n'admettre à ses banquets que des convives avec qui il a des affinités
électives. Même alors la médiation de l'étiquette interdira la
vulgarité et les promiscuités chaotiques. Il importe donc d'instituer
d'abord un espace politique de mutualité, de discussion, de solidarité
active et de créativité collective et le reste, c'est-à-dire la
convivialité, nous sera donné en prime.