De 1746 à 1788, près de Palerme, le prince de Palagonia fit décorer sa
villa de prodigieuses sculptures, de vertigineuses mises en scène,
d'objets bigarrés et singuliers, au point qu'elle fut célébrée en
Europe comme le lieu de l'absurde. Écoutons l'Écossais Brydone : « Le
prince passa sa vie à enfanter des monstres et chimères infiniment
plus ridicules et plus bizarres que tous les faiseurs de romans et de
fictions de la chevalerie errants ». Et le Danois Stolberg : «
Sculptés dans la pierre, ces rêves d'un esprit malade produisent un
effet d'autant plus repoussant que leur créateur manquait
d'imagination et que ces idées pitoyables ont été mises en oeuvre par
de mauvais artistes ». Ami du prince, Villabianca note : « Sa villa
déconcerte les plus sains cerveaux. Le tout est, en substance, rêve
d'un fiévreux. Pour de tels maux, la magnificence a besoin d'un
médecin ». Face à ces « abîmes où l'esprit humain peut se précipiter
», l'Allemand Bartels « éprouve une irrésistible sensation de
mélancolie ». Si Kniep, le dessinateur de Goethe, réprime malaisément
son désir de fuir, Hoüel, le peintre du roi de France, est pris de
nausées. Comparée à l'arche de Noé, au féerique château de Circé, au
diabolique palais d'Armide, à la chambre de Barbe-Bleue, à l'humour
noir de Goya, ou aux arts bruts et surréalistes, la villa bouleversa
les idéaux classiques et baroques, le néo-classicisme et les
romantiques. Théâtre ineffable, elle résista d'autant plus aux
critères de jugements traditionnels que ses créations n'étaient pas
celles d'artistes réputés, mais d'artisans et de « bricoleurs » qui
matérialisaient le goût effréné du prince pour l'étrange, le grotesque
et l'éphémère. Composé d'une préface d'Alain Mothu, d'un essai, d'une
anthologie et d'illustrations de Valérie Guibert et d'Ettore Magno, ce
livre explore une oeuvre et un personnage fascinant.