Les années 1988 à 1996 ont constitué, par l'ampleur des forces
sociales mobilisées autour de la démocratie, un moment politique
comparable au moment anticolonial des années 1945-1960. Après trois
décennies de monopole des partis-États sur la construction nationale
et sur le développement économique et social, s'est opéré un vaste
mouvement de re-participation a la conduite des affaires publiques. De
vastes coalitions de mouvements sociaux se sont formées, fédérées,
puis dispersées. Leur dispersion n'a pas rendu, désormais, l'enjeu
démocratique moins brûlant. La difficulté est aujourd'hui de dépasser
une démocratie « cube Maggi », servie à toutes les sauces et à tous
les discours, pour en refaire un objet concret et mobilisateur.
L'enjeu démocratique s'entend bien au-delà des figures de style
gouvernemental. Il embrasse les conditions mêmes de reproduction des
sociétés ouest-africaines. En proposant une réflexion conjointe sur
les mots (les notions, concepts, grilles, et schémas d'analyse
savante, mais aussi les mots de tous les jours) et les lieux de
démocratie (ses terrains ou sites d'observations, les lieux dont
parlent les acteurs et ceux d'où ils parlent), cet essai invite à
réinscrire l'histoire politique de la dernière décennie dans la longue
durée des luttes d'émancipation.